Son père était censé être mort depuis 1981 : Kaïtzà le retrouve à l’autre bout du monde 46 ans après... |
Ce sont des retrouvailles que Kaïtzà Camus n’espérait plus. Alors qu’elle pensait son père décédé, cette Toulonnaise de 50 ans a réussi à retrouver sa trace au Costa Rica. Elle a décidé de traverser l’Atlantique pour aller à sa rencontre.
C’est une histoire qui parlera peut-être aux téléspectateurs de l’ancienne émission culte Perdu de vue. Alors qu’elle n’avait que 18 ans, Kaïtzà Camus avait appelé à l’aide Jacques Pradel, l’animateur de l’émission, pour retrouver son père. En 1980, l’homme avait laissé sa famille en France pour se rendre au Nicaragua afin de donner des cours d’alphabétisation aux familles les plus pauvres. Le dernier signe de vie était une carte de vœux datant de 1981 accompagnée d’une photographie de lui. Mais l’équipe de TF1 n’avait pas réussi à géolocaliser Jean Camus.
Un père absent et insaisissable
Après 46 ans d’attente, la jeune femme devenue mère de famille a enfin pu revoir son père. Il se trouve au Costa Rica. Des retrouvailles qui closent une quête pleine de rebondissements et d’émotion. « J’ai pu le voir plusieurs fois mais à chaque fois c’était trop court. Ce sont des moments précieux et inespérés. J’ai enregistré nos conversations avec mon portable », nous confie Kaïtzà Camus qui vit à Toulon.
Kaïtzà Camus n’avait pas revu son père depuis ses 4 ans. « Mes parents ont divorcé quand j’avais trois ans. Je vivais avec ma mère. Je suis fille unique. Mon père venait me voir de manière irrégulière, jamais longtemps et toujours entre deux voyages. » Jean Camus, un vrai hippie, rêve de découvrir le monde et de mener son existence comme bon lui semble. « Il a fait mille métiers et adore voyager. Quand il partait, il envoyait rarement des nouvelles et ne donnait pas son adresse. Parfois, il disait dans quel pays il se trouvait ou la ville. Il signait d’un autre prénom que le sien. C’est un vrai personnage… »
Mort au Nicaragua pendant la guerre civile ?
Mais la famille de Kaïtzà, dont ses grands-parents paternels, se persuade que l’homme est décédé au Nicaragua durant la guerre civile, qui a duré de 1981 à 1988, car elle ne reçoit plus aucun courrier. « Dans une des lettres, il disait braver le couvre-feu pour rejoindre une Indienne. » Des mots qui ont alimenté l’hypothèse de sa mort. « Moi, je n’ai jamais perdu espoir alors que ma tante et mes grands-parents avaient fait leur deuil. Je voulais m’accrocher tant qu’on ne m’avait pas dit quand et où il était décédé. »
Kaïtzà Camus mène son existence auprès de sa mère et sa famille paternelle. « Je n’ai pas ressenti de manque car je n’ai aucun souvenir avec mon père. Je disais qu’il était disparu. » Parfois, la petite fille s’invente une autre vie. « J’écrivais qu’il était kinésithérapeute quand on me demandait son métier. » C’est à la « fin de l’adolescence et à l’âge d’adulte » que les questions dans sa tête sont plus pressantes. « J’avais besoin de connaître les conditions de son décès pour tourner la page et avancer. » Elle fait donc appel à l’émission Perdu de vue, en vain. « Je n’ai jamais vraiment enquêté car, à l’époque, il n’y avait pas tous ces médias et les réseaux sociaux. »
Une inattendue demande de passeport à son nom
C’est à la disparition de sa grand-mère paternelle à l’âge de 100 ans, en 2021, qu’un premier rebondissement bouleverse les certitudes de la famille. Alors que la succession est en train d’être étudiée par un notaire, Kaïtzà Camus apprend que le jugement d’absence de son père a été annulé en 2009. « À la mort de mon grand-père, une rapide enquête avait été menée pour le retrouver. Ce jugement signifiait que personne ne l’avait revu en Europe. » Mais, une demande de passeport a été réalisée à l’ambassade de France du Costa Rica au nom de Jean Camus. Il n’est donc pas décédé.
« Ma tante l’a appris par mail. Elle était sciée. Elle avait fait le deuil de son frère avec qui elle était très proche étant plus jeune. Elle me disait qu’il fallait rester prudentes car il pouvait s’agir d’une usurpation d’identité. Moi, j’étais sûre que c’était bien lui ». Mais sa « demande de passeport remontait à 2009 et nous étions en 2021, il pouvait être mort depuis ».
« J’étais sonnée, sidérée et heureuse »
Quelques mois plus tard, Kaïtzà Camus envoie un mail à l’ambassade de France au Costa Rica dans lequel elle raconte son histoire. « Le lendemain, j’ai reçu un appel. On m’a expliqué que c’était bien mon père qui avait fait cette demande de passeport et qu’il était toujours vivant. Mais la personne au téléphone, qui le connaissait, ne savait pas qu’il était porté disparu et qu’il avait une fille », se souvient-elle. En entendant ces informations, « j’étais sonnée, sidérée et heureuse » mais elle a aussi ressenti de la « colère », nous confie-t-elle. « Je lui en veux car ses parents sont morts en ne sachant pas qu’il était vivant. »
Dans le même temps, un généalogiste successoral enquête dans le cadre de la succession de la grand-mère paternelle de Kaïtzà Camus. Il contacte lui aussi l’ambassade. « Mon père a indiqué ne pas vouloir de contact avec sa sœur. Il a accepté de lui faire savoir qu’il était vivant et qu’il habitait au Costa Rica et qu’il la contacterait quand il le souhaiterait. » Mais quelque temps plus tard, l’homme s’évapore à nouveau.
Repéré en train d’errer dans des rues
En novembre 2022, en pleine nuit, Kaïtzà Camus reçoit un mail inquiétant de l’ambassade de France au Costa Rica. Son père a été vu errant et confus dans les rues d’une station balnéaire du pays d’Amérique du Sud. Le message était accompagné de photographies prises par des habitants soucieux de voir cet homme seul. « Ce fut le choc. Dans les souvenirs, il était âgé de 35 ans et là je le revois à 78 ans. Mais je le reconnais tout de suite. Je lui ressemble. Il ressemble à mes grands-parents. » Alors qu’elle n’avait jamais envisagé de prendre l’avion pour retrouver son père, une force la pousse à franchir enfin le pas. Grâce à son ami Sébastien Destremau, fondateur de l’association FaceOcean et skipper, elle lance une cagnotte et réussit ainsi à financer son voyage.
Quelques jours avant son départ, elle ne sait toujours pas où se trouve son père précisément au Costa Rica. Grâce au réseau de Sébastien Destremau, le quai d’Orsay lance un avis de disparition inquiétante. Tout s’accélère. L’ambassade de France au Costa Rica ordonne une enquête. Les polices locales se mettent à rechercher Jean Camus… qui est retourné à son domicile. « Il a fait savoir qu’il ne voulait aucun contact avec sa famille. Je me suis effondrée avant de reprendre mes esprits. » Elle décide de maintenir son voyage au 3 avril 2023.
La rencontre d’une vie
Avant, elle écrit à une amie de longue date de son père qui vit au Costa Rica et qu’elle découvre grâce à l’ambassade. « Trois jours avant mon départ, elle m’a répondu me disant qu’elle voulait m’aider. Mon père lui avait dit qu’il avait une fille. » Kaïtzà Camus prend l’avion avec une amie, sa tante ayant refusé de l’accompagner.
Le lendemain de son arrivée, elle se rend chez cette avocate avec deux représentants de l’ambassade pour faire connaissance. « Mon père était là ! Je n’avais pas été prévenue. Je le trouve beau. Je pensais voir un vieil homme, dénutri… mais non ! » Kaïtzà Camus reprend ses esprits malgré « cette rencontre improbable » et attend d’être présentée. « Quand son amie lui a dit mon prénom, il a répondu : je connais ce prénom, c’est celui de ma fille », nous raconte la quinquagénaire avec des larmes aux yeux. Il ne l’a pas oublié.
« Il réalise peu à peu que je suis sa fille »
Néanmoins, Jean Camus ne comprend pas que devant lui se tient sa fille. Quand l’avocate lui explique : « Il a souri et, d’un air nonchalant, il a simplement dit que ce n’était pas possible. » Père et fille passent des moments ensemble durant deux semaines. Mais le septuagénaire souffre de troubles cognitifs. Les souvenirs s’entremêlent. Kaïtzà Camus ose lui demander pourquoi il n’est jamais revenu en France. « Je lui ai dit que sa famille le pensait mort au Nicaragua ! » Il lui confie avoir disparu volontairement. « Il a vécu comme il le voulait toute sa vie, et de manière très égoïste. Il a une vie très simple et très loin de la société de consommation. Mais je ne lui en veux pas. »
Kaïtzà Camus est rentrée en France auprès de ses quatre filles avec de nombreuses photographies comme souvenirs. Depuis, elle écrit tous les jours à son père. Elle l’appelle régulièrement. « Il réalise peu à peu que je suis sa fille. On s’entend bien. On s’apprécie. Il m’a posé une fois des questions sur mes enfants et sur mon travail. » Même s’il lui est encore impossible de l’appeler « papa », elle prévoit de retourner au Costa Rica le revoir quand elle pourra financer ce second voyage.